Ayant assisté à beaucoup de concerts, j'ai acquis la certitude qu'il existait quelque part un guide du parfait emmerdeur. Certains semblent en effet avoir porté cette pratique à un niveau si élevé, qu'il me parait impossible d'imaginer que cette capacité ne résulte pas d'une longue évolution, transmise et perfectionnée de génération en génération par le biais d'un savant manuel (le livre, pas le portugais). J'ai donc tenté de reconstituer ici les principaux commandements de cet ouvrage, en observant le comportement de ces insupportables nuisibles :
- si vous arrivez en retard, ne restez pas bêtement debout en attendant que le morceau finisse. Empressez-vous de gagner votre place.
- l'absence de ponctualité n'empêche pas la politesse. Si pour gagner votre place, vous devez faire lever toute la rangée, excusez-vous. Envers chaque personne. Articulez distinctement "Pardon Monsieur", "Pardon Madame". Et un petit geste d'excuse vers le pianiste sur scène ne sera pas de trop non plus. C'est la moindre des choses.
- une fois installé, en sueur et à bout de souffle, indiquez subtilement à votre voisin le motif de votre retard, afin de vous mettre à l'abri de tout reproche : "Pffff, saleté de périph' "
- si vous êtes vous-même pianiste, faites le savoir : n'hésitez pas à dire par exemple à la personne qui vous accompagne que vous jouez ce morceau plus vite. Pas la peine de le dire à voix basse
- si vous connaissez le morceau, chantez ! Et battez la mesure ! Tous ces ignorants doivent savoir que la personne sur scène n'est pas le seul musicien !
- si vous n'aimez pas un morceau, ou qu'il vous paraît trop long, profitez-en pour aller aux toilettes. A l'entracte il y a toujours du monde, c'est très pénible.
- si vous avez oublié d'acheter du lait pour tata Chantale ou que votre chien kiki a une otite, n'attendez pas la fin du morceau pour en faire part à la personne qui vous accompagne. C'est très agréable de discuter avec une musique de fond.
- à la fin d'un morceau que vous connaissez, applaudissez dès la dernière note, en hochant la tête d'un air connaisseur.
- si vous n'avez pas apprécié la prestation, faites la moue, prenez un air blasé et critiquez ouvertement le musicien. N'hésitez pas à indiquer votre version de référence, en choisissant de préférence un nom méconnu à consonnance russe, et en y adjoignant une date lointaine "ça ne vaut pas la version de dimietrovinovitch en 1923". Vos voisins seront impressionnés par l'ampleur de vos connaissances et se sentiront bien ignorants !
- si vous avez reconnu le bis, n'attendez pas la fin du morceau pour le dire, et dites-le assez fort pour être entendu de tous les malheureux incultes autour de vous. Etre cultivé n'empêche pas d'être généreux